Développement de la justice « négociée »

Grégory de Moulins Beaufort

le 9 juin 2022
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La défense pénale classique consistait en France en une défense-résistance, le rôle de l’avocat étant le plus souvent de batailler avec les juges en charge de la poursuite (Procureur, juge d’instruction), de soulever tout motif de nullité de procédure possible, de contester les faits ou leur qualification pénale.

Depuis plusieurs années sont apparus un nombre croissant de procédures pénales alternatives au jugement par trois juges d’une chambre correctionnel de tribunal judiciaire. Et ce par inspiration de la justice américaine, et également car cela permet de résoudre le problème de l’engorgement des tribunaux pénaux (ce qui n’est pas une bonne raison).

Elles sont à la main du Parquet, ou de l’autorité administrative compétente, qui décident de les engager ou non.

En résumé, elles consistent à voir le Parquet (ou l’autorité administrative) proposer une peine aux personnes en cause, qui peuvent l’accepter ou la refuser, avec une marge de négociation très étroite, non prévue par les textes (qui ne parlement que de peine proposée puis accepté ou refusée), et dépendant de la souplesse du Procureur.

Initialement prévue pour des délits de masse difficilement contestables (par exemple, conduite sans permis de conduire), le nombre et le champ d’application de ces procédures ont beaucoup augmenté, sans qu’on puisse comprendre la logique justifiant la distinction entre les règles propres à chacune de ces différentes procédures.

Le tableau ci-après illustre la diversité des procédures alternatives créées au fil du temps. Elles laissent perplexe pour plusieurs raisons, dont en particulier un défaut criant de cohérence globale :

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Réservées aux infractions les moins graves, le seuil de gravité est cependant variable en fonction des infractions en cause, ou de la procédure applicable, sans logique explicative.

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On ne comprend pas pourquoi une personne coupable d’abus de confiance ou de vol se trouve plus sévèrement traité qu’une personne coupable de corruption : la CRPC implique une reconnaissance de culpabilité, et aboutit à une ordonnance d’homologation ayant les effets d’un jugement de condamnation (compte pour la récidive), alors que la CJIP « n’emporte pas déclaration de culpabilité et n’a ni la nature ni les effets d’un jugement de condamnation ». La finalité délibérée du législateur ayant été de permettre au corrupteur de continuer à soumissionner aux appels d’offres publics.

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Certaines infractions, telles que le vol ou l’abus de confiance ou l’escroquerie par exemple, peuvent faire l’objet, selon les textes, à la fois d’une composition pénale et d’une CRPC. Or en général le Parquet refuse d’envisager la première pour de tels délits, sans justification textuelle ni même objective.

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La phase d’homologation est très incertaine, alors que l’enjeu est crucial, surtout en matière de CRPC.

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Les textes prévoient des propositions émanant du Parquet ou de l’administration, suivies d’une phase d’acceptation ou de refus (avec droit de rétractation parfois), mais sans prévoir que le prévenu puisse faire valoir des observations et émettre une contre-proposition argumentée. Même si dans la pratique certains Parquets entrent en discussion avec les avocats, la procédure est délibérément rigide au détriment du prévenu, alors que Parquet n’a pas toujours tous les éléments en mains lorsqu’il fait sa proposition. L’alternative OUI ou NON n’est pas cohérente avec la gravité des enjeux (renvoi direct devant des juges correctionnels).

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